• Utah Jazz vs Chicago Bulls - 14 juin 1998 - The Last Shot

    Utah Jazz vs Chicago Bulls - 14 juin 1998 - The Last Shot

    Alors, le temps s'est arrêté. Enceinte tonitruante il y a quelques instants encore, le Delta Center de Salt Lake City n'est plus qu'une pierre tombale, un eldorado desséché. Sur la photo qui immortalise la scène, la balle orange dessine encore sa trajectoire scélérate. Derrière le panneau, dans la foule, les visages impriment un dernier regard de terreur. Il est 21h34 sur le fuseau horaire de l'enfer, à 6''6 d'un Eden que les Utah Jazz n'atteindront jamais. Avec ce shoot qui offre la victoire (87-86) et leur sixième titre NBA aux Chicago Bulls, le torero Michael Jordan vient de porter le coup de grâce.

    A l'heure des bilans, le magazine Sports Illustrated fera de ce panier le deuxième plus grand moment d'une carrière qui en compte tant, juste derrière les 38 points inscrits un an plus tôt face à la même équipe, au même stade de l'épreuve, la finale, dans la même salle, face au même adversaire direct, Bryon Russell. Ce jour-là, 11 juin 1997, Jordan, victime d'une intoxication alimentaire et terrassé par la fièvre, vomissait durant les temps morts. Mais il avait dépassé le stade de la souffrance pour délivrer un moment d'anthologie (15 points dans le dernier quart-temps) et offrir un succès décisif aux siens.

    Mais en ce 14 juin 1998, pour la sixième manche d'une finale dans laquelle Chicago mène trois victoires à deux, Jordan (35 ans) a une raison supplémentaire de frapper à la porte de la postérité. Il sait déjà que ses dirigeants ont décidé de démanteler l'équipe et qu'il ne portera plus jamais le maillot des Bulls. En cette soirée particulière résonne un carillon de fin de règne. Pour MJ, ce match sera le dernier d'un cycle de quatorze ans. Quand il revêt son uniforme rouge, ce 14 juin 1998, Jordan sait qu'il n'a plus que quelques minutes à vivre dans la peau du 23 des Bulls. Lui qui n'a jamais connu l'échec en finale (une universitaire, deux olympiques et maintenant six NBA) ne peut quitter la scène que sur une dernière fulgurance. Jordan n'a pas aimé la victoire des Jazz lors du match précédent, à Chicago. Elle l'a privé d'adieux festifs à son public. Comme le rappelle Steve Kerr, un de ses coéquipiers de l'époque, "Michael aime trouver quelque chose d'offensant, du moins dans son esprit. C'est sa manière de se motiver". Face à lui, pointe Bryon Russel, un janséniste du basket. Avec Greg Elho, l'arrière de Cleveland, Russell est le martyr privilégié de Jordan, son souffre-douleur attitré. Quelques années plus tard, quand il deviendra son coéquipier à Washington, Jordan, copropriétaire des Wizards, lui répétera inlassablement : "I own you" ("Je te possède").

    Scottie Pippen, touché au dos, a rejoint le banc des Bulls. Harassé, Jordan rate ses cinq premiers shoots en seconde période. A 42'' de la fin, une nouvelle banderille de Stockton fait vaciller les Bulls (86-83). Jordan n'a plus le choix, il doit se muer une fois encore en matador. A 37'' de la sirène, il déborde Russell pour ramener l'écart à un point (85-86), puis dépossède Karl Malone sur l'action suivante. Temps mort. Steve Kerr raconte : "Tout le monde savait que Michael allait prendre le shoot. Et nous, on savait qu'il allait le mettre." Quand il se lève du banc, Jordan s'est métamorphosé, imprégné de cet instant où "son regard devient plus intense, ses mouvements plus rapides" (Kerr). Lui-même dira : "Tu sais quand tu abordes un moment décisif. La foule devient silencieuse, tout se ralentit. Tu commences à voir le terrain très nettement. J'ai senti ce moment, et je l'ai exploité".

    Russel est face à lui, comme un condamné à mort face au peloton d'exécution. Jordan le désarticule. Un mouvement à droite, dans lequel l'autre plonge, et une poussette sur les fesses, de la main gauche, parachèvent le déséquilibre. Russell a un genou à terre quand le shoot part. C'est fini. Phil Taylor, qui a suivi l'épopée pour Sports Illustrated, confesse : "Ce panier, à lui tout seul, symbolise Jordan. Sa grandeur, sa capacité à être là dans les grands moments. Même la petite poussette qu'il fait à Russell avant le shoot est un symbole : celui de repousser les limites des lois et d'arriver à ses fins." Michael Jordan, comme Jules Renard, pourrait dire : "j'ai bâti de si beaux châteaux que les ruines m'en suffiraient." Utah ne les verra même pas.

    Revivez la rencontre dans son intégralité (french broadcast) :     > part 1     > part 2     > part 3


    Tags Tags : , , , , , , ,